Réflexions sur l'Enseignement du Tango et autres Techniques Corporelles

Publié le 25 octobre 2024 à 14:50

Crédit photo Alejandro Rumolino

Réflexions sur l'Enseignement du Tango et autres Techniques Corporelles

Depuis vingt-trois ans, j'enseigne le tango et, progressivement, d’autres techniques corporelles. Je suis en réflexion constante sur ce que signifie être un.e bon.ne enseignant.e. Ce que j'apprécie personnellement chez un.e enseignant.e, lorsque je suis élève, c’est la capacité à fournir les clés nécessaires pour progresser, plutôt que de conforter l’élève dans ses acquis.

L’enseignement dépasse de loin la simple transmission de mouvements, une tâche en apparence simple mais qui peut être trompeuse. Il s'agit en fait d’un voyage partagé, où chaque élève apporte une histoire unique et rencontre des défis personnels. Comme l’a exprimé le maestro Juan Carlos Copes : « La danse est un art de la vérité. » C’est dans cet esprit que je tente de rester authentique dans chaque interaction avec celles et ceux qui me font confiance. Contrairement à certain.e.s qui préfèrent l’illusion, j’ai toujours valorisé la vérité, même si cela implique des retours parfois directs. Cette approche permet de surmonter les obstacles et de donner un véritable sens à notre progression. Chercher des éloges ne relève pas d’une démarche d’apprentissage ; cela s’apparente davantage à une recherche de gratification, un besoin mieux adressé par une approche thérapeutique.

Une Approche Holistique : Intégrer le Tango et les Techniques Corporelles

Dans mes cours, j'aborde le tango et d’autres disciplines corporelles avec une vision holistique qui intègre le corps, l’esprit et l’émotion. À la différence d’une pratique sociale, la participation à un cours nécessite une concentration et une posture d’apprenant.e, en laissant de côté ses certitudes. Au fil des ans, j’ai appris à créer un espace où les participant.e.s peuvent explorer librement leur corps et développer leur conscience corporelle. Ce processus demande du temps et repose sur une pratique de longue haleine, appuyée par des années de formation et de recherche.

Le travail de Rudolf Laban, pionnier de l'analyse du mouvement, m’a inspirée à encourager une connexion personnelle avec le mouvement, à travers cette idée que "le mouvement est l'expression de l'individu". Je poursuis actuellement une formation en « relajación activa y eutonía » avec Susana Kesselman, qui insiste sur l'importance du « pensamiento corporal ». Son ouvrage, que je recommande vivement aux enseignant.e.s, explore la manière dont le corps intègre les expériences émotionnelles et cognitives, enrichissant notre compréhension du mouvement. Chaque individu exprime ainsi son unicité à travers sa manière de bouger, révélant quelque chose de profond sur lui-même.

Se former dans diverses disciplines est essentiel pour enrichir l’enseignement. Ces connaissances offrent des outils précieux qui permettent de donner du sens à l'apprentissage en établissant des liens entre les différentes techniques corporelles. Cela permet de renforcer la compréhension des mouvements, facilitant une approche intégrative bénéfique pour chaque élève.

Établir une Relation de Confiance entre Enseignant.e et Élève

Les élèves ne nous appartiennent pas, bien que l'on dise souvent "mes élèves". Cette expression est de moins en moins appropriée aujourd'hui, car les participant.e.s « picorent » fréquemment des informations de divers enseignements. Chaque personne apporte son histoire et ses questionnements uniques. Chaque rencontre devient ainsi un moment d’échange et d'enrichissement mutuel, où enseignant.e et élève co-construisent l'expérience. Un.e bon.ne enseignant.e doit non seulement fournir des outils, mais aussi orienter l’élève vers d’autres disciplines ou enseignant.e.s si cela est bénéfique. Comme l’a écrit Pierre Bourdieu, "l'éducation est une construction collective", soulignant l'importance des interactions et des échanges.

Cependant, dans cette relation de confiance, certains élèves "cross the line" en formulant des réflexions sur la personnalité ou l'enseignement des enseignants dans des contextes inappropriés. Ces comportements peuvent souvent découler d'expériences personnelles difficiles, de ressentis mal intégrés par rapport à leur apprentissage, ou simplement d'un moment de vie délicat que la personne traverse. De même, il est essentiel de rappeler que, bien que chacun ait le droit d'exprimer son avis sur un enseignant, le cadre de cette expression doit être approprié. Lorsque des commentaires négatifs échappent dans une conversation sur un autre professeur, cela peut sembler déplacé et en dire long sur la personne qui les émet, révélant des émotions non résolues ou des attentes mal placées, plutôt qu'une critique constructive de l'enseignement.

En définitive, cette relation de confiance doit néanmoins être accompagnée d’une exigence dans l'apprentissage. L'expertise et le niveau d'exigence d'un.e enseignant.e conviennent généralement mieux aux élèves de niveau avancé ou à ceux et celles qui souhaitent être challengé.e.s. Les personnes qui recherchent principalement une gratification immédiate ou un substitut de thérapie, ou qui ont trop d'attentes en raison de leurs problèmes personnels, ne trouveront pas dans ces cours ce qu'elles recherchent. Cette démarche exige rigueur et constance, en maintenant un engagement avec un.e même professeur.e pour favoriser une progression continue. Bien entendu, il est également précieux d’aller explorer d’autres approches, mais la régularité avec un.e enseignant.e est nécessaire pour permettre une intégration plus profonde des apprentissages.

Réticence des Élèves et Défis de l'Enseignement du Tango

Dans l’enseignement du tango, j’observe souvent que les élèves sont plus réticent.e.s que celles et ceux d’autres disciplines corporelles à s’investir dans un travail en profondeur. La dimension sociale du tango crée une illusion : beaucoup pensent pouvoir danser sans introspection réelle, ce qui conduit à un manque de conscience et d’actions concrètes pour progresser. Comme le soulignait Osvaldo Pugliese : « Dans le tango, chaque pas est une histoire, et chaque danseur doit trouver sa propre voix ». Cette « voix » ne renvoie pas à un chemin tout tracé, mais à l'expression de soi.Le tango demande une rigueur et une discipline pour atteindre un niveau véritablement artistique, des valeurs parfois en conflit avec le marché actuel du tango, où la gratification immédiate est souvent privilégiée.

Exigence et Discipline : Clés de la Progression

Pour progresser dans le tango ou toute autre discipline, il est indispensable d'aborder l'apprentissage avec rigueur. La danse est, selon moi, une quête d'authenticité. Cela m'a conduite, depuis mes débuts, à suivre plusieurs formations pour développer de nouvelles compétences. Ces formations m'apportent de nouvelles perspectives, que je partage avec les élèves  et qui enrichissent leur apprentissage autant que le mien.

Enseigner avec Conscience

En tant qu'enseignante, je me pose souvent la question : "Qui suis-je pour enseigner ?" Cette introspection est cruciale. Ai-je bâti mon expertise sur une pratique solide et un savoir approfondi ?  Suis-je prête à accompagner des élèves en quête de sens et d'exploration véritable, ou ceux qui recherchent des réponses immédiates ? Je réalise qu'il m'est difficile de répondre aux attentes de ces derniers, car je privilégie une approche authentique et en profondeur.

Astor Piazzolla disait : « La musique est un langage universel qui se nourrit de l'expérience ». L'enseignement, de la même manière, demande un engagement constant. Il est essentiel de continuer à se former pour que notre enseignement évolue, afin de préserver la tradition tout en répondant aux attentes des nouvelles générations d’élèves.

Sandrine Navarro
21/10/2024

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Commentaires

Rastoll
il y a 23 jours

Excellente réflexion personnelle sur les compétence et les acquis des uns et des autres.
Il n'est pas faux de constater un imaginaire personnel dans l'expression d'un couple peu en accord avec des exigences physiques plus adaptées aux données de cette expression.
Par contre l'assiduité au cous ne se révèle pas toujours possible soit par absence de cet enseignement dans la ville soit par la nécessité de commettre beaucoup de kms pour y parvenir.
Les stages pallient à peine mais surtout le manque de disponibilité de cavalier.

Merci pour cette ouverture de pensée. Bien cordialement.
Emilienne